La concurrence entre festivals existe t-elle ?
Un objectif : la rentabilité
En format association ou en format entreprise, chaque festival cherche à obtenir une rentabilité financière. Quel événement, quel projet, aurait pour objectif de ne pas atteindre l’équilibre des recettes ? Partant de ce constat, comme pour chaque produit, une concurrence existe évidemment, notamment pour les festivals ayant lieu en même temps, ou programmant des artistes ou des formats similaires. Si le public cible de deux événements est similaire, le festivalier devra probablement faire un choix entre les deux.
Lors de l’été 2023, certains artistes comme Juliette Armanet, Luijipeka ou Shaka Ponk, sont présents sur un très grand nombre de rendez-vous. Avec l’augmentation des cachets artistiques, certains festivals se retrouvent obligés de limiter leur nombre de têtes d’affiches, ce qui crée une ressemblance parmi les programmations. Ces événements doivent donc s’adapter et trouver la différenciation dans un ou plusieurs gros artistes exclusifs mais aussi dans leurs valeurs ou dans leur concept.
Programmation et valeurs : comment se différencier ?
Dans le contrat de cession entre certains festivals et les productions des artistes, l’organisateur de l’événement peut demander une clause d’exclusivité. En clair, selon les négociations, il peut être demandé à ce que l’artiste ne joue pas dans un périmètre défini autour du festival, pendant une période précise avant et après ce dernier. Il s’agit là d’une manière pour les événements de se protéger, afin d’éviter que certains artistes ne se produisent deux fois dans un même secteur à quelques jours d’intervalle. Partant de cette logique, il est très rare que les quatre géants parisiens (We Love Green, Solidays, Rock en Seine et Lollapalooza), partagent des artistes de leurs affiches. De cette manière, les festivaliers bénéficient d’une expérience artistique différente pour chacun de ces événements.
Ces festivals parisiens sont l’exemple que des formats tout à fait différents sont possibles. Les valeurs de We Love Green et Solidays sont tout à fait ciblées, respectivement engagés en faveur du respect de l’environnement et des solidarités, tandis que Lollapalooza et Rock en Seine se focalisent sur d’impressionnantes têtes d’affiches internationales. Peut-on parler de concurrence, lorsque les expériences que nous vivons dans ces événements ne ressemblent pas aux autres ? Un festivalier pourrait très bien vouloir débourser pour participer à plusieurs de ces rendez-vous. S’il en est ainsi, c’est car les organisateurs ont comparé les événements déjà existants dans la capitale afin de s’assurer qu’ils ne ressemblent à aucun autre. De plus, ils sont très logiquement limités par cette clause d’exclusivité le cas échéant (ou alors, ils s’assurent de ne pas programmer les mêmes artistes).
D’autres types de valeurs existent évidemment : un organisateur pourrait vouloir présenter la culture locale de sa région (c’est le cas des Vieilles Charrues), la francophonie (Francofolies), voire quelque chose de tout à fait différent et traditionnel. D’autres mettent en lumière la lutte contre le sida (Solidays), la cause animale (la Nuit de l’Erdre), l’écologie (We Love Green).
Enfin, nous trouvons aussi des festivals proposant une programmation axée principalement exclusivement sur un genre musical : c’est le cas des Nuits Sonores avec les musiques électroniques ou du Hellfest avec le métal, rock et leurs dérivés.
La variété du territoire français
La France est un territoire qui accueille des milliers de festivals de tous types, dont plus de cent accueillant au moins 15.000 personnes au total, selon les chiffres de 2019. Qu’est-ce qui explique leur succès ?
Nous l’avons vu, les programmations peuvent se ressembler. Reprenons l’exemple de Shaka Ponk, annoncés sur une vingtaine de rendez-vous de l’hexagone. Pourtant, il est assez rare de les voir dans une même région. En tant que public local, il s’agit là d’une aubaine : nous n’avons pas à faire des centaines de kilomètres pour les applaudir. De plus, sur une même journée, nous voyons d’autres artistes. Pour un festivalier Rhône-Alpin, Musilac est de fait l’une des seules occasions de profiter du groupe dans la région. La journée de leur passage, d’ailleurs, Hyphen Hyphen et SCH étaient également présents. Nous retrouvions ces trois artistes à Solidays quelques semaines auparavant, mais il aurait fallu faire plus de 600 kilomètres pour pouvoir applaudir une programmation similaire en quelques points. Musilac joue donc avec l’avantage de proposer une programmation tout public avec des artistes de qualité, quelques exclusivités, dans une zone où le premier grand festival est Woodstower, proche de Lyon. Ils peuvent donc attirer un public de toute la région, mais aussi quelques fans de grands groupes tels qu’Arctic Monkeys ou Indochine, assez rares en tournée.
En partant de cette logique, chaque festival a ses caractéristiques les différenciant des autres, les rendant uniques, sans pour autant voler la vedette aux autres événements auxquels pourraient se rendre les festivaliers.
Est-ce donc légitime de parler de concurrence ?
Même si la plupart des rendez-vous les plus importants ont lieu au cours du mois de juillet, les premiers festivals ouvrent leurs portes fin mai (Nuits Sonores) et les derniers ont lieu à la fin du mois d’août (Delta, Woodstower, Rock en Seine). Il n’est pas rare que certaines personnes se rendent sur plusieurs événements.
Comme pour tout produit, parler de concurrence semble logique dans le sens où les organisateurs se renseignent sur le panorama national pour savoir de quelle manière diriger leur festival. Un grand nombre de décisions marketing sont prises de manière à assurer la meilleure fréquentation possible. Pour autant, les festivals ne cherchent pas à écraser les voisins : ce n’est pas parce qu’un événement marche que ceux des autres ne devraient pas fonctionner. Les organisateurs parlent entre eux, se connaissent et semblent vouloir se renseigner, dans le but de proposer une expérience toujours différente et qualitative.
La plupart des festivals, si nous les voyons comme des produits, pourraient être décrits en quelques lignes sous forme de pitch. Nous verrions rapidement qu’ils sont très différents entre eux. Ils attirent chacun un public différent, ou alors, si le public est similaire, se trouvent dans des régions éloignées.
Plutôt que de parler de concurrence des festivals, nous pouvons souligner l’importance de l’information et de l’analyse du panorama français, permettant de se distinguer.